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Toutes les femmes sont des sorcières

  • apollinepetitjean
  • 21 avr. 2024
  • 7 min de lecture

Dernière mise à jour : 27 juil. 2024

“Si vous êtes une femme et que vous osez regarder à l’intérieur de vous-même, alors vous êtes une sorcière.” Mona Chollet`


Vêtue de noir, balai à la main et toujours accompagnée d’un chat noir signe de mauvais présage,  la sorcière a toujours été une figure quelque peu fascinante pour le mystère qui plane autour d’elle. Mais la fascination qui s’en émane a longtemps été synonyme de lynchage, de discrimination, et d’une forme de misogynie que l’on ne nommait pas encore à l’époque. 

Il faudra attendre les années 1970 pour que la figure de la sorcière soit enfin réhabilitée, à travers notamment les mouvements féministes qui s’emparent de la figure laide, repoussante et malveillante qu’elle inspire pour en faire une héroïne de la culture populaire.

Alors, bienvenue dans l’ère des sorcières féministes. 


Je ne suis pas passée à côté de cette adoration pour la sorcière. J’ai toujours rêvé d’être l’une d’elles, d’avoir des pouvoirs magiques, de jeter des sorts et de ressembler aux femmes puissantes qui ont nourri ma conscience féministe. Je n’avais pas encore réalisé que j’en étais une : je suis une femme. 


Mais avant d’étudier la manière dont les sociétés anciennes comme nouvelles, ont utilisé la figure de la sorcière comme un moyen de persécution envers les femmes et leur pouvoir, revenons sur l’histoire de la sorcellerie. 


Le mot sorcellerie est issu du latin populaire sortiarus « diseur de sorts ». La sorcellerie devient ainsi une « affaire de sort », c’est à dire - dans le sens général - de « hasard, de destinée » ou plus largement des agents surnaturels qui interviennent dans la vie humaine. Les définitions les plus courantes définissent et associent la sorcellerie à une culture populaire en insistant sur le caractère mystérieux, mystique et proscrit de ses pratiques qui relèvent des maléfices, des invocations à morts, et de tout ce qui a pour vocation de nuire à autrui, la plupart du temps dans un but malveillant.

Si elle a longtemps été considérée comme dangereuse, voire comme « une origine du mal » , « de pathologie » des sociétés, la sorcellerie - une fois ramenée à un objet d’étude démystifiée - devient un ancrage de nombreuses traditions et pratiques des sociétés humaines. D’ailleurs, la sorcellerie est pendant longtemps utilisée comme un mot fourre-tout pour désigner tout ce qui ne s’apparente pas à la rationalité de la Renaissance ou aux dogmes religieux et occidentaux. 


Deviennent sorcières toutes les femmes qui de près ou de loin s’intéressent à des domaines ésotériques, aux pouvoirs des énergies, et autres croyances plus traditionnelles. 

Deviennent sorcières toutes les femmes qui par leurs activités ou croyances développent des connaissances supérieures ou égales à celles des hommes.


Ainsi, étudier les fondements de la sorcellerie nous permet de comprendre les significations et les rôles qu’elle a joué dans l’histoire des sociétés. Pour en découvrir davantage, je vous invite à lire La sorcellerie : mythes et réalités, de Lionel Obida. 

Mais revenons-en à nos sorcières. 


Avant toute chose, penser que le Moyen-Age est une époque centrale dans l’histoire de la chasse aux sorcières est une idée reçue. En réalité, on ne reconnait que quelques cas à cette période, dont les principales persécutions étaient utilisées comme prétexte à des actes politiques. À partir de 1270 notamment, jusqu’au début de la Renaissance, les « chasses aux sorcières » ne sont encore que des évènements (rares) sur une période longue : c’est le cas par exemple avec l’affaire Jeanne D’Arc. D’ailleurs, outre la pucelle d’Orléans, les accusé.e.s de sorcellerie n’étaient au coeur du Moyen-âge, pas persécuté.e.s mais condamné.e.s à l’exil. Ces femmes, car les accusé.e.s étaient la plupart du temps de sexe féminin, inspiraient la pitié et la folie au reste des populations. Les procès de sorcellerie ont émergé au XVe siècle et se sont surtout intensifiés entre le XVIe et le XVIIe siècle, totalisant environ 110 000 cas en Europe entre 1430 et 1630, avec 48 % des accusés condamnés à mort, et de nombreux autres exécutions non officielles. C’est donc au coeur de la Renaissance, une « époque de révolution humaniste et éclairée » que s’intensifient les célèbres chasses aux sorcières. Comme si l’élévation spirituelle, rationnelle et intellectuelle de l’homme ne pouvait s’effectuer qu’à travers la perte de la femme. Comme si le savoir des femmes devenait obstacle au pouvoir de l’homme.

Mais comme énoncé précédemment, les premières persécutions contre les sorcières qui prennent place au coeur du Moyen-Age, sont plus des actes politiques, que sexués. D’ailleurs, à l’origine des premiers lynchages « envers la sorcellerie » les femmes n’étaient pas plus visées que les hommes. Cependant, à partir du XVIe siècle et selon des recherches menées par des historiens comme Brian P. Levack, on estime que plus de 75 % des personnes exécutées pour sorcellerie étaient des femmes, ou du moins de sexe féminin. Ces estimations sont basées sur des documents historiques tels que les registres des procès en sorcellerie, dont l’oeuvre The Witch-Hunt in Early Modern Europe écrite par Brian P. Levack.

 

Mais alors, pourquoi les femmes en particulier ont été visé par ces crimes et châtiments ? Qu’est ce qui lie la sorcellerie à la féminité ? Et qu’est-ce qui effraie tellement chez la « sorcière » pour que les femmes deviennent des cibles de persécutions ?


Chasse à la sorcière, chasse à la femme 


Qui étaient ces femmes, et qu’est-ce qui faisait d’elles des sorcières ? 

Encore plus effrayant qu’un mauvais sort, qu’un balai volant et qu’un maléfice, les sorcières avaient… du savoir. Et oui, les premières sorcières n’étaient autres que des sages-femmes, des guérisseuses, des femmes qui connaissaient le pouvoir des plantes et savaient comment les utiliser à diverses fins. Elles avaient des savoirs ancestraux et traditionnels qui concurrençaient ceux des hommes, pour qui l’impuissance et l’infériorité n’étaient concevables. Rajoutons à cela le contexte théologique et rationnel que prônait les Hommes de la Renaissance : à un moment où la logique et la raison étaient les valeurs les plus importantes, de tels sources de connaissances n’étaient pas envisageables. La Renaissance était également une époque où les fondements issus du Moyen-âge devaient être oubliés. On ne jurait plus que par l’Antique et ses croyances, ainsi les femmes - souvent sans enfant - détentrices de connaissances ancestrales furent persécutées. L’homme ne pouvant se résoudre à accepter un savoir qui n’était pas le sien, rejeta ces croyances qu’il qualifiait de « superstitions ». 


Faisons un petit point de vocabulaire : 

Superstition, CNRTL, : « croyance religieuse irrationnelle, attachement considéré aux doctrines et prescriptions qui sont du domaine du sacré. » 

Depuis plus de 500 ans, les savoirs des femmes, leurs croyances, leurs cultures sont dites « irrationnelles » dès lors que les hommes ne les partagent pas. Si on cherche à s’attacher purement à la sémantique : « irrationnel » signifie « qui n’appartient pas au domaine de la raison », c’est un mot qui dans le langage courant est utilisé pour humilier les femmes et leurs connaissances. On juge ce que nous savons et ce en quoi nous croyons comme quelque chose dont la véracité n’a pas été avéré. Une vérité illégitime. Parce que dans l’imaginaire misogyne qui tient lieu de doctrine sacrée, les femmes ne peuvent surtout pas en savoir autant que les hommes. Une femme qui croit, qui pense, qui sait, devient une sorcière. D’ailleurs, on se privera de rappeler que l’adjectif sorcière est, dans l’imaginaire commun utilisé comme adjectif dépréciatif, ou comme une insulte pour rabaisser une femme pour son physique ou ses idées. Force est de constater qu’on ne traite jamais un homme de sorcier. 


Justifier ou excuser tous ces crimes au nom « de la raison » voire, « de l’Humanisme » : plutôt ironique, non ? Pourtant, comme le démontre très bien un article de Radio France sur la sorcellerie, le contexte politique et social de la fin du Moyen Age (épisodes de pestes, dérèglements climatiques responsables de famines) ne peuvent résulter que de la « main du diable », dont les « manifestations démoniaques ne pouvaient se faire que par l'intermédiaire des femmes. ». 

Mais la sorcellerie se développe au cours des siècles, et comme tout phénomène sociologique, s’ancre davantage dans une période de renouvellement social et politique. 


Dans les sociétés modernes, qui cherchent à remettre en question les doctrines du passé pour les dépasser et s’interrogent sur des nouvelles individualités (minorités raciales, sexuelles, de genre, religieuses, culturelles, sociales…) la sorcellerie se forge une nouvelle place et légitimité. Elle se dote d’un caractère subversif qui lui permet d’agir sur le monde et les idées. On s’intéresse donc au surnaturel, particulièrement quand l’absurdité de notre époque devient trop lourde à porter, et discriminante. Mais la figure de la sorcière et celles de son univers nous permettent alors de trouver des figures hybrides qui se désolidarisent du carcan traditionnel de la société. Les femmes, (premier niveau de minorité qui peut se multiplier grâce à l’approche intersectionnelle,) revendiquent de plus en plus une appartenance aux sorcières ou à l’univers ésotérique de la sorcellerie plus largement. Cela devient un moyen de prendre revanche sur l’Histoire qui les a stigmatisé. La sorcellerie moderne est à la fois un nouveau type de croyances, qui se veut même plus inclusif. Mais ses manifestations aussi ont évolué. 


Alors même si la sorcellerie et la modernité font mélange déroutant, il devient un véritable emblème du féminisme du XXIe siècle. La sorcellerie dont se sont emparé.e.s les nouvelles figures de sorcier.e.s devient un véritable moyen de se reconnecter avec les autres, avec soi-même et avec le monde qui nous entoure. 

De nouvelles croyances qui ne rejettent pas les pouvoirs des femmes, et qui en font même les énergies centrales. 

Mais alors qu’elle se développe petit à petit, la sorcellerie moderne reste la cible d’attaques et de jugements arbitraires de la part du patriarcat, notamment sur les réseaux sociaux : les femmes seraient donc assez folles pour continuer de croire aux pouvoirs des plantes, des planètes et des pierres ? 

Le savoir, lorsqu’il n’est pas dicté par le patriarcat, ne pourrait être synonyme de vérité ? Étrange (et effrayant) constat…


Que l’on croie ou non à ces pratiques, rendons-nous compte que, dans les mains des femmes, le pouvoir et le savoir ne sont pas instrumentalisés à des fins discriminantes, dévastatrices et meurtrières. 

Au coeur de la sorcellerie moderne, le patriarcat ne règne pas, il ne contrôle pas, ne soumet pas et n’assujetti pas. 

Vive les sorcières modernes, figures de force, d’ouverture d’esprit et de spiritualité.

Vive les sorcières féministes. 

5 comentarios


Suikun7
Suikun7
29 jul 2024

Trop sympa cet article concis et dense lov it

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etiennetemoe
22 abr 2024

Cette plume est toujours aussi qualitative et significative ✨(clin d’œil à mister prof d’histoire pour le moment éthymologie😛)

Editado
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apollinepetitjean
22 abr 2024
Contestando a

Merci pour ton commentaire qui me touche trop <33 hihi il serait fier de moi j’en suis sure ;)

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Tara Denis
Tara Denis
21 abr 2024

Merci pour cet article, aussi intéressant que bien écrit, qui apprend et conseille. Vive les femmes, vive les sorcières et longue vie aux articles d'Apo<3

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apollinepetitjean
21 abr 2024
Contestando a

Merci pour ton commentaire et tes mots, comme toujours <3

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