Colette - La Vagabonde : dans les coulisses des artistes et des coeurs meurtris
- apollinepetitjean
- 14 août 2024
- 3 min de lecture
« Oh ! Oui, partir, repartir, oublier qui je suis et le nom de la ville qui m’abrita hier et penser à peine, ne refléter et retenir que le beau qui tourne et change au flanc du train, l’étang plombé où le ciel bleu se mire vert, la flèche ajourée d’un clocher cerné d’hirondelles… »
Comédien.es, danseuses, danseurs, mimes : dans son roman La Vagabonde, Colette nous plonge dans le quotidien de ces vies d’artistes, le petit monde du grand Paris des années 1910.
Le vagabond, c’est cet être errant, qui n’est retenu par rien ni personne. C’est l’acquisition de la liberté et de l’indépendance au prix de la solitude et d’une vie souvent modeste. À travers ce roman, le lecteur fait la rencontre de René Néré, une femme de trente trois ans qui blessée par les infidélités de son mari, le peintre Taillandy, laisse derrière elle sa vie de petite bourgeoise afin de devenir danseuse et mime dans les cafés concerts de Paris.
Au cours de mes lectures, j’ai longtemps désiré lire Colette, et notamment La Vagabonde, oeuvre centrale de l’autrice. L’ambiance qui s’en émane, celle des artistes nichés dans les petites scènes de la capitale m’attirait particulièrement. Pourtant, au fur et à mesure que j’avançais dans le roman, mes attentes se sont teintées de petites déceptions.
Dans l’ensemble, l’oeuvre de Colette se révèle à mes yeux comme étant un bon roman, et j’ai apprécié la plume de l’autrice. Néanmoins, j’ai été quelque peu déçue par la tournure qu’a pris l’histoire. Scindé en trois parties, le roman aborde un univers bohème, celui des artistes des années 1910. Lassée de son couple et trompée par le peintre Taillandy, René Néré devient danseuse et mime au théâtre l’Empyrée-Clichy à Paris.
Sur la scène et dans les coulisses, la première partie du roman nous plonge dans la vie éreintante mais passionnée des artistes qui, pour gagner leur vie, mettent en scène des spectacles et vivent une vie de vagabonds. On s’amuse à découvrir les habitudes des tournées, des représentations du monde théâtrale plein de frivolité et de gaité. René choisit l’art à l’amour, comme une consolation de ses amours passés. Jusqu’au jour où Maxime, un petit fils de bourgeois en tombe amoureux et se met en tête de la séduire. J’ai adoré la première partie du roman : les personnages et leurs spectacles nous dépaysent. Leurs difficultés à se faire de l’argent nous touche, courageux de prendre le chemin de la passion et de l’insécurité face aux vies toutes-faites et peu trépidantes des bourgeois qui paient pour voir leurs spectacles et s’échapper un peu de leur quotidien monotone.
Ce que je regrette, c’est que cet univers d’artistes aurait être encore davantage exploité, mis quelques fois de côté pour quelques descriptions et pensées assez inutiles pour l’avancée du roman.
Terrifiée et fatiguée de souffrir en amour, René commence par repousser Maxime, qui cherche de plus en plus à faire parti de sa vie. Sa liberté de femme et d’artiste n’a pas de prix, et l’amour qu’elle porte apparement à Maxime lui apparait comme une entrave à son indépendance.
Mais c’est là tout ce qui m’a déplu dans la suite du roman : la vie de théâtre et de concerts disparait presque totalement pour faire place à la relation naissante de deux êtres qui cherchent ensemble à combler tout ce qui leur a manqué par le passé. Je n’ai pas réussi à m’attacher à ce couple que je trouvais faux et maladroit. Le besoin et côté autoritaire de Max, qui est attiré par une René simple, frivole et artiste veut en faire une petite bourgeoise, la « Madame » qui ne fait rien sauf perdre son indépendance et son caractère aux côtés de Max. L’amour, ce n’est pas chercher à faire renoncer à son amante tout ce qu’elle a de plus cher : c’est du contrôle. Selon moi, Maxime aime davantage ce contrôle qu’il a sur René que René elle-même. D’ailleurs cette dernière cherche plus à se prouver qu’elle est capable d’aimer à nouveau qu’elle n’aime réellement Maxime. Les longues lettres d’amour qui saturent la troisième partie du roman la rend presque indigeste : j’ai laissé traîner les dernières pages aussi longtemps qu’ils ont laissé traîner leur relation : bien trop longtemps. Ces longues plaintes et consolations nous font perdre le rythme et l’énergie que nous dessine le reste de l’oeuvre.
Outre cela, Colette nous partage la modernité d’un monde en métamorphose, du rejet du mariage et des convenances qui sont imposées par cette union. Las de pleurer l’amour déçue, René trouve en elle-même sa force de caractère et de vie et se choisit elle-même plutôt qu’un homme.
Mais la fragilité de René quant à ses peurs de souffrir une nouvelle fois, on l’entend et la comprend. Peut-être est-ce le voyage le plus redoutable du roman ? Celui d’un amour nouveau après les souvenirs et les larmes, plus effrayant encore que la tournée ou l’Amérique.
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